DELUGE (FRA) - Æther (2015)
Label : Les Acteurs de L'Ombre Productions
Sortie du Scud : 19 septembre 2015
Pays : France
Genre : Post Black Metal
Type : Album
Playtime : 9 titres - 55 minutes
Il existe différentes approches pour aborder un premier album. Celui-ci peut se voir comme une carte de visite pour se faire un nom, comme une synthèse de X années de préparation, un résumé d'un répertoire rodé pendant des années, un tremplin vers le professionnalisme.
Ou au contraire, comme un aboutissement. Un grand soir qu'on prépare depuis le début et qui va asseoir votre réputation de façon immédiate et définitive. Cette vision est complexe, et le pari risqué. Beaucoup de groupes ont tenté le magnum opus dès la première livraison, et s'y sont méchamment cassé les dents. D'autres à l'opposé, on réussi à relever le défi, et l'ont emporté haut la main, devenant culte, the next big thing, ou un acteur de premier plan dans une scène pourtant submergée par les productions.
Si vous vous demandez à quelle catégorie appartiennent les cinq musiciens de DELUGE, référez vous à mon dernier exemple.
Leur cas est simple, et pourtant, éminemment complexe, musicalement parlant. Frédéric (basse), Benjamin (batterie), François-Thibaut et Richard (guitares), et Maxime (chant) avec Aether cassent les codes, les réassemblent pour les modeler à leur image, et finir par imposer un miroir qui renvoie un reflet du Black et du Post Hardcore déformé, hideux, mais terriblement beau et fascinant à la fois. Ils appellent ça par volonté de dérision du "Untrue French Black Metal" comme un pied de nez aux premières exactions de DARKTHRONE, mais tout ça va beaucoup plus loin qu'une simple blague organisée. Et si le premier LP du quintette se retrouve au catalogue des esthètes exigeants des Acteurs de L'Ombre, ça n'est absolument pas du au hasard. Car DELUGE est aussi une assemblée d'esthètes qui ont travaillé leur musique pour la rendre aussi sensible qu'elle n'est puissante.
En choisissant de nuancer le Black d'un regard Post Rock/hardcore, ou au contraire, de radicaliser le Post en le soumettant à la puissance séculaire du Black, les membres de DELUGE sont parvenus à un équilibre parfait entre mélodies amères et rythmiques évolutives, et je vous assure qu'ils n'ont pas opté pour la voie la plus simple pourtant. Avec presque une heure de musique à son actif, Aether aurait pu se transformer en long chemin de croix aussi pénible qu'une marche avec un caillou dans la sandale, mais il se matérialise au contraire comme un voyage dans un subconscient à l'imagination fertile, qui donne corps à des images sonores aussi cauchemardesques que magnifiques.
On peut placer DELUGE aux côtés d'autres esprits novateurs, refusant comme eux les convenances. WHEELFALL, REGARDE LES HOMMES TOMBER, ils sont tous les trois de la même trempe. HYPNO5E aussi bien sur, et les anciens de PROTON BURST, SIN, SPINA... La liste des parieurs de l'impossible est longue, et le nom du quintette de Metz peut venir s'ajouter à cette liste, le tout, avec un seul album en poche. Belle réussite.
Il serait relativement facile pourtant de les rapprocher d'un DEAFHEAVEN, tant les similitudes sont patentes entre les deux groupes, mais je préfère voir en DELUGE un point de convergence entre les trois références majeures que j'ai utilisées à l'instant.
Ils ont en effet l'impact colossal d'un REGARDE LES HOMMES TOMBER, les déviances à l'humeur de WHEELFALL, et les digressions faussement contemplatives et harmoniques d'HYPNO5E dans leur dictionnaire personnel. Mais je ne crois pas me tromper en affirmant que ces trois groupes auraient été incapables de produire un souffle aussi foncièrement Black que "Houle", même en forçant sur leurs traits de caractère respectifs.
Là où les messins vont encore plus loin que leurs aînés, c'est dans cette recherche de motifs qui personnalisent leur identité. Tout l'album est en parfaite adéquation avec l'appellation même de l'ensemble, et en écoutant Aether in extenso, on se croirait vraiment prisonnier d'un déluge extrême, d'un déchaînement des éléments, avec son cortège d'éclaircies, de trombes soudaines, de bourrasques venteuses, et de chaleur des rayons d'un soleil qui ne brille que par rares intermittences.
L'épique "Klartraumer" en est la concrétisation la plus emblématique, avec ses neuf minutes de voyage en terre inconnue, dont les premiers pas sont guidés par une guitare lointaine, agitée des soubresauts d'arrangements sourds et grondants. Et alors qu'on pense le chemin parfaitement dessiné, les contours changent subitement, et on s'embourbe dans une terre acide, les deux pieds enfoncés dans un leitmotiv lourd et compressant, entre Sludge et Doom hypnotique, avant que le Post Black ne reprenne ses droits pour nous appuyer fermement sur la tête. Ce crescendo se termine dans une orgie de violence progressive, qui laisse les blasts nous achever sans pitié, avant que notre souffrance ne prenne fin dans une ultime litanie de dissonances propre au Post Hardcore.
Mais chaque morceau, qu'il débute ou non par ces bruits d'averse intense (et beaucoup en sont marqués), possède une emprunte tellement forte, qu'on en vient à se dire que DELUGE est un cas très à part en tant que tel.
On ne sait pas vraiment quelle est la direction à suivre, d'un Post Black très libre ou d'un Post Hardcore noirci par la violence du Black, les pistes s'entremêlent, et le résultat est de toute façon bien concret. Alors peu importe la manière...
Mais le tout est d'une cohérence rare, d'une évolution logique qui s'achève sur un ultime paradoxe avec "Bruine", qui suggère pourtant un léger crachin, alors qu'il nous place sous un véritable déluge de plomb que MARDUK et SILENCER auraient pu personnifier ensemble.
Difficile de se persuader que Aether n'est qu'un premier album... Il fait montre d'une telle maîtrise, d'une telle énergie concentrée et d'une telle liberté qu'il incarnerait avec plus de pertinence le grand oeuvre d'un groupe à la longue carrière passée.
Que peut-on attendre d'ailleurs d'un groupe qui se permet tout dès son premier effort ? Tout justement. Et surtout, le meilleur.
Sachez seulement que DELUGE ne construira pas d'arche pour vous. Vous devrez savoir nager pour vous en sortir.
Mais je ne suis pas sur que votre survie soit leur objectif.
Ajouté : Jeudi 18 Février 2016 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Deluge website Hits: 6807
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