POISON IDEA (usa) - Feel The Darkness (1990)
Label : American Leather Records
Sortie du Scud : 2012
Pays : Etats-Unis
Genre : Punk Hardcore
Type : Album
Playtime : 13 Titres - 36 Mins
Dans les années 80, il y avait plusieurs façons d’appréhender le Hardcore. L’optique MINOR THREAT, à fond les ballons, discours revendicateur, straight edge. La voie DEAD KENNEDYS. Fusion musicale, hystérie collective et ludicité sociale sur fond d’interprétation cocasse et possédée pour faire passer le message. La route BLACK FLAG, paillarde, excessive, avec au passage un maximum de boucan Rock n’Roll pour faire chier les voisins.
Ou la résolution THE ADOLESCENTS, potache, speed comme une pilule de trop, et s’attachant à manquer les cours pour apprendre la vie là où elle était vraiment intéressante.
Mais en Oregon, on ne fait rien comme tout le monde. Surtout dans le cas de Jerry A (Jerry Lang pour l’état civil). On bouffe, on fantasme sur les GERMS, on pisse à la raie de la société, et accessoirement on joue de la musique.
Alors, comme dans beaucoup de contes de fée Punk, on fait les bonnes rencontres. Et on se retrouve à chanter comme son idole avec une bande de trous du cul ayant la même vision que soi.
En 1986, POISON IDEA sort son jet initial, Pick Your King, et sa pochette offrant le choix de la divinité à vénérer, Dieu, ou Elvis… Déjà, sens de l’humour oblige, il fallait montrer patte blanche pour pénétrer l’univers de américains (Feu Peter Steele fera plus ou moins la même chose avec son Jesus Hitler…).
Musicalement, le groupe a encore du mal à se détacher de ses influences BLACK FLAG, et de tous les excès l’accompagnant. C’est court, rapide, mais pas vraiment fin. Cela dit, cet album originel permet déjà d’entrevoir le potentiel des lascars. Qui s’annonce plutôt conséquent.
War All The Time (titre d’un bouquin éthylique de Bukowski) sort l’année suivante et confirme la donne, tout en nuançant l’attitude. Mais l’influence de Charles le poivrot ne trompe personne sur les choix revendiqués de Jerry et sa bande.
L’alcool, la fête, les injustices, tout est déjà là. Musicalement, sans tourner à l’opportunisme, quelques variations plaisantes se font découvrir, et montrent de fait que le chef d’œuvre attendu n’est peut être pas si loin qu’on ne le croyait.
Et ce dit chef d’œuvre est finalement arrivé dans les bacs, via une signature chez American Leather en 1988, et après la sortie d’une démo et d’un Ep (Get Loaded and Fuck et Ian MacKaye, recommandables à différents niveaux).
Et on allait en prendre plein la gueule.
Je me souviens, à l’époque, j’étais justement dans un complet trip Hardcore US, bien méchant. J’avais découvert les aînés il y a peu, m’étais entiché de Jello Biafra que je considérais comme le plus ludique des fouteurs de merde, et je fredonnais « MTV Get Of The Air » dans les couloirs du lycée.
Ca plante un décor. Fuck off.
Et puis j’ai posé ce putain de disque sur ma platine. Et là, c’était genre… La fille belle comme une déesse qui rentre dans la salle de classe quand un connard te colle en même temps une grosse mandale parce que tu as sucé son stylo.
« Plastic Bomb » ? Mais quelle entrée en matière… Et ça décrivait bien le reste, oui…
Ce Punk Hardcore aux racines profondément Rock N’Roll. Genre Darby Crash gerbe sur Lemmy qui fantasme sur un vieux Russ Meyer. Des gros nichons, du bordel, des potes, et surtout, une douzaine de packs de six. Comme le chantait si bien Rollins.
Classique dans la forme, mais roublard dans le fond, avec le meilleur line up qu’ait connu les POISON IDEA. Jerry A bien sur, le beau Mondo, Pig Champion, Thee Slayer Hippy et le maigrichon Myrtle Tickner à la basse. Visuellement, c’était une espèce d’hybridation entre MOUNTAIN et les WHEATER GIRLS version travelos. Avec une sorte de tout petit Kenny au milieu qui pourtant ne s’en laissait pas conter niveau rythmique.
J’aimais l’image, mais le son encore plus.
POISON IDEA, à ce moment précis, c’était la bande de morfales qui venait pour ruiner la fête et tout picoler/bouffer. Comme le prouve l’hystérique « Deep Sleep », qui une fois écouté, vous laissait sur le flanc, au milieu du tapis du salon. Mais avec un monstre comme Thee Slayer Hippy au kit, impossible de faire autrement. Ce mec était la réincarnation obèse de Keith Moon, et ne se gênait pas pour en coller partout.
« The Badge », c’était bien sur la saine réaction des glandus contre les flics, et il faut dire que les poulets n’étaient pas vraiment tendres avec les gamins des rues. Du bon Rock sombre, joué à la RAMONES, avec des paroles bien senties, et surtout, ce vers magique en exergue :
« The badge means you suck, a child lies there dead »
Parce que derrière la bourrinade, il y avait aussi des musiciens conscients de leur rôle de pourfendeurs des inégalités. D’où cette saine question, « What’s behind the badge ? »
Dès fois, on peut effectivement se le demander.
Mais pas le temps pour l’introspection, parce que ce furieux de Thee Slayer Hippy bastonne encore sur le lumineux, « Just To Get Away », qui prouve que cette face A ne contenait aucun temps faible, aucun poids mort. Les emphases sur le charleston, les breaks hallucinés sur des toms (ab)usés, avec en sus ce putain de refrain aussi (désab)usé que porteur d’espoir…
« Gone For Good » et « Death Of An Idiot Blues », c’était les excuses pour en revenir à l’essentiel, le foutoir. Ca gicle, c’est même carrément incohérent (le « texte » de « Idiot Blues » ressemblait grave à une régurgitation de bière bon marché…), mais ça mulait, et c’était le principal. Merci les mecs, mais surtout, ne ramassez pas les gobelets.
Et puis… Le premier choc frontal, le ressenti viscéral, « Taken By Surprise ». Je ne sais pas, mais j’ai du écouter ce truc au moins un bon millier de fois. Parce que c’est évident, mais fin, parce que le riff est parfait, parce que le refrain est juste ce qu’on avait envie d’entendre à ce moment là. Et parce que c’est l’hymne à la déception amoureuse que tous les losers ont du chanter au moins un jour.
« As we both layed there, on the floor, said it takes two to start a war »
Merde, la punchline. Tombée comme ça, mais pas par hazard… Et puis ce solo plus Rock que les médiators de Berry… Finir une face de vinyle là dessus… C’était un cadeau de fidélité. Une mousse gratuite, sans faux col. La fraternité des oubliés de la chance.
Et du coup, Alan se retrouve en feu…
Une face B qui commence par un machin aussi énorme que « Alan’s On Fire », c’est presque de la transmission de pensée… Réverb sur le chant doublé, couplets secs comme un coup de matraque, et final orgiaque… La recette sublime de dérisoire, le dispensable érigé en indispensable, et toujours ce gosier passé au papier de verre de Jerry…
Si Cochran avait abusé du speed, son « Summertime Blues » aurait pris des allures de « Welcome To Krell », car une fois de plus, au-delà de la speederie intense, le fond est Rock, rien d’autre que Rock…
Et c’est ça qui rapprochait les PI de ceux qui avaient compris l’essence même du Punk Hardcore. Cette façon de transcender les classiques pour les adapter à une époque de révolte et de faim au ventre.
Et d’ailleurs, sur cette seconde partie, Pig Champion riffe plus vite que la lumière, alignant les quickies signés par le tandem infernal Jerry A et Aldine Strichnine, jeté du groupe juste avant l’album pour permettre le retour de Mondo.
Jusqu’à…
Ben jusqu’à « Feel The Darkness » justement. Le morceau.
Dingue cette capacité à finir une face avec un morceau terrible. C’est presque irréel en fait. Mais si « Taken By Surprise » secouait les puces et les neurones encore engourdis par l’amour déçu, « Feel The Darkness » puait le stupre, les rues mal famées, les couteaux dans le dos.
« Feel the darkness, now you're one of us »
Et c’est vrai qu’à partir de là, c’était foutu, on faisait partie de la bande.
Ce tempo jazzy, cette ligne de basse sobre, mais emphatique, et puis l’entrée des guitares…
« Your worst nightmare has just begun for you »
Six minutes de délire intense, comme une intrusion chez un Roger Rabbit accro aux amphétamines, le chant faussement nasal de Jerry, Pig et Mondo en duo pour un riff gluant, comme une vieille trace de coke sous les narines…POISON IDEA devenait alors notre régulier, notre fournisseur, et c’est lui qui définissait les tarifs prohibitifs.
« I'm out on the dancefloor baby, standing…I'm standing all alone… »
Et oui, c’était ça… Glauque, mais dansant. Sombre, mais clair. La conclusion parfaite et inattendue d’un album parfait de bout en bout. Une nouvelle bible du Punk Hardcore, au moins aussi importante que Damaged, (GI), Hear Nothing, See Nothin, Say Nothing, ou autres Out Of Step et Bedtime For Democracy…
Après…
Pas grand-chose. Le moins bon Blank Blackout Vacant, le sympathique album de reprise Pajama Party, et puis des 12’’, et le split… Avant des reformations régulières.
Mais quelle putain de belle histoire de gouttière… Cinq loners mal intentionnés qui le temps d’un album authentique ont su décrire la vie de la jeunesse mieux que quiconque, avec les mots adaptés et une musique brassant la tradition et l’envie d’en découdre autrement.
Mais il y a une chose dont je suis sûr. C’est qu’après avoir découvert Feel The Darkness, je n’ai plus jamais été le même. J’ai commencé à arpenter les ruelles louches, à traîner avec des putes, des dealers, des assassins, à goûter à tout ce qui passait près de mon nez, et à finir souvent sous la table, la bouteille de Jack à la main. Mais j’avais de nouveaux amis, et j’ai aimé ça. Et j’ai contredit à moi tout seul ce vers de Jerry, pourtant plein de bon sens et prophétique à notre époque propice à l’égoïsme et la misère.
« You started with nothing,but you ended up with less»
Feel The Darkness.
Ajouté : Mercredi 12 Décembre 2012 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Hits: 12444
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