Le Mondial du tatouage, c'est un peu le Hellfest du tatouage. Une fête où tatoués, tatoueurs, curieux et sympathisants se réunissent l'espace de trois jours pour découvrir, échanger, partager mais surtout pour être là. Parce que ça fait du bien de se retrouver entre passionnés. A l'instar du Hellfest, le Mondial est placé sous le signe du respect. On vient pour voir, être vu, se montrer, picoler, assister à des concerts, se faire tatouer et tout cela se déroule dans une ambiance détendue, respectueuse et sympathique. La grand-messe parisienne est organisée par Tin-Tin, le tatoueur des stars et la star des tatoueurs. Jovial, ce tatoueur qui ne tatoue plus tant que ça est devenu le porte-parole de la profession. Tin-Tin rêve de faire du tatouage le 10ème art et obtenir la reconnaissance du statut d'artiste pour ses pairs.
Il est certain que pour ce que nous avons pu voir du 4 au 6 mars 2016 sous la Grande Halle de la Villette, il y a un paquet d'artistes parmi les tatoueurs présents. Ce sont 350 privilégiés triés sur le volet, car ce n'est un secret pour personne dans la profession, si le Mondial fait partie des événements auxquels on se doit d'être présent, la porte n'est pas ouverte à tout le monde. Il faut montrer patte blanche et se faire adouber par l'organisateur. Tout exceptionnel qu'ait été ce plateau 2016, il faut donc garder à l'esprit que les 350 participants représentent une belle brochette d'artistes mais qu'il y en a des tas d'autres, tout aussi talentueux qui n'avaient pas de stand à la Villette...
Pour ce qui est de l'organisation, saluons le choix du lieu. La Grande Halle de la Villette est un immense marché couvert datant du XIXème siècle situé dans le parc de la Villette et ayant pour architecte Bernard Tschumi. Très haut de plafond et aéré, c'est le bâtiment idéal pour une manifestation où la lumière et l'espace sont importants. Une structure tout de métal et de verre, avec une belle lumière naturelle qui permet d'apprécier le spectacle qui se déroule partout où l'oeil se pose. Un espace imposant, pour respirer et ne pas se sentir oppressé, même au plus fort du pic de fréquentation. Un beau volume et une acoustique correcte pour savourer les concerts. Renonçant à l'habituel corner Paul ou Brioche Dorée, le Mondial a confié l'alimentation à une quinzaine de food trucks parqués sur l'esplanade de la Grande Halle. A l'air libre mais abrité par l'avant-toit, les stands de burger, chop suey, pat thaï, grillades et autres spécialités réjouissantes pour les papilles entourent un espace pique-nique suffisamment vaste pour accueillir tous les affamés sans avoir à patienter comme un con le plateau à la main. Il faut dire qu'avec le froid polaire qu'il a fait pendant les trois jours, on n'avait pas très envie de bailler aux corneilles une fois la collation terminée. Le soiffard n'est pas en reste non plus avec la quinzaine de bars répartis dans la Grande Halle. Enfin, pour clôturer la partie logistique, l'autre immense avantage de ce lieu c'est qu'il y a suffisamment d'espaces WC pour ne pas avoir à traverser le bâtiment à chaque petite envie et on ne fait jamais la queue. C'est un détail qui a son importance, tout festivalier en conviendra.
L'espace d'exposition qui prend toute la longueur du bâtiment est coupé en deux par la grande scène centrale où se déroulent les concours de tatouages. Elle accueille chaque soir des concerts organisés par les Stoned Gatherings. Pour l'occasion, ces spécialistes parisiens du Stoner ont réuni quatre groupes qui auraient justifié à eux seuls le déplacement. STICKY BOYS, UNCLE ACID & THE DEADBEATS, HANGMAN'S CHAIR et ORANGE GOBLIN ont “ambiancé” le mondial 2016. Une sono bien balancée, une belle scène et une fosse large et aérée, un bar à proximité : tous les ingrédients sont réunis pour une dose de Metal, histoire de finir la journée dans de bonnes conditions. Car si le mondial s'arrête officiellement à Minuit, à partir de 20 heures, les stands des tatoueurs ferment les uns après les autres, idem pour les food trucks qui plient les gaules une fois le stock épuisé. La Grande Halle se vide et c'est autour de la grande scène que le spectacle se concentre. Malgré un dynamisme déjanté, les parisiens de STICKY BOYS n'ont pas réussi à enflammer le public dispersé du vendredi soir, et la tête d'affiche UNCLE ACID semble avoir fait le déplacement pour le cachet, servant une prestation dépourvue de la moindre empathie. Changement de braquet le samedi avec deux groupes plus attendus. L'ouverture est confiée aux parisiens de HANGMAN'S CHAIR dont le dernier album, This Is Not Supposed To Be Positive fait le buzz dans le petit milieu du Doom Sludge hexagonal. En live, la musique lancinante du quatuor se déguste, mais après deux jours de mondial dans les jambes et malgré les nombreuses incitations du bassiste, le combo ne sort pas son public d'une douce léthargie (une partie des spectateurs assistent au concert assis sur le plancher, les escaliers ou les mezzanines). Heureusement, les têtes d'affiche du samedi ont remis les choses à leur place. Enervé, c'est le maître mot du set du plus dynamique et du plus approprié des quatre groupes. Car les furieux anglais de ORANGE GOBLIN sont (presque) tous tatoués des pieds à la tête (seul Joe Hoare, le guitariste n'est pas encore passé sous le dermographe, n'ayant pas encore trouvé un motif qui lui plaise suffisamment, comme il nous l'a expliqué en interview). Le quatuor livre un set de haute tenue. C'est leur première convention de tatoueurs et on peut espérer que ce ne sera pas la dernière car le gobelin orange a mis le feu à la Grande Halle et clôturé avec passion une série de sets d'intérêt variable.
Toute cette ambiance, cette animation et cette organisation sont mis au service des 350 tatoueurs qui ont répondu présent à l'invitation de Tin-Tin pour cette édition 2016. Représentant 35 nationalités et offrant une grande diversité de styles, les artistes sont chacun installés dans un petit box d'une dizaine de mètres carrés dans lequel ils calent leur matériel, une table ou un fauteuil pour tatouer, ainsi que des supports de communication pour présenter leur salon. En général le tatoueur est accompagné d'un assistant qui répond aux questions pendant que l'artiste travail. Car c'est le dermographe à la main que tous les tatoueurs ont passé la convention. Les stars avaient booké leur agenda plusieurs mois à l'avance, les autres proposaient des flash mais tous étaient venus pour exposer leur art de la manière la plus efficace qui soit : en le pratiquant. Au niveau des spécialités, comme l'an dernier, le tatouage japonais a le vent en poupe. Les salons proposant des masques kabuki, des carpes koï et autres motifs issus de la tradition nipponne sont légion, tout comme ceux proposant du oldschool et du newschool. Il y a de tous les styles pour qui veut bien se donner la peine de chercher bien que ça ne soit pas toujours facile de trouver. Entre un plan minimaliste et un site internet mal foutu, trouver un tatoueur autrement que par son nom ou sa nationalité relève la plupart du temps du hasard ou du coup de pot. On se contente alors de déambuler dans les larges allées, en s'arrêtant pour apprécier les travaux en cours, à divers stades d'avancement, quitte à repasser plusieurs fois pour constater l'avancement des projets. Tout cela se fait dans un climat sain et décontracté, vraiment très agréable et propice à la flânerie et aux rencontres.
Ivan Hack est un tatoueur russe spécialisé dans les motifs géométriques. Ivan travaille sur des grosses pièces et pour le Mondial, son agenda était booké sur trois jours. Passionné par l'anatomie, Ivan cherche toujours à adapter ses pièces au corps sur lesquels il les imprime, créant des effets de volumes et de contrastes pour souligner un trait saillant de la personnalité de son sujet. Telles des grilles de moucharabié, ou des toiles d'araignée, les grilles d'Ivan se fondent dans les creux et les reliefs d'un biceps, d'un sein ou d'un menton, réinventant une géographie du corps humain.
Installé à Châlon sur Saône, Manu Badet est spécialisé dans le tatouage photoréaliste. Quand nous l'avons rencontré le vendredi, il travaille sur un portrait de Dave Gaham (DEPECHE MODE) du plus bel effet. La technique d'encrage est spécifique : après avoir marqué les contours, l'artiste dessine les reliefs ombrages, ligne à ligne, du bas vers le haut. Un peu comme une imprimante à jet d'encre (pardonnez la comparaison, mais elle est très visuelle). Les résultats sont saisissants de réalisme.
Ces deux artistes étaient full bookés pour toute la durée du Mondial, comme l'étaient une bonne partie des tatoueurs. Mais pour ne pas frustrer les afficionados qui, comme moi, auraient bien aimé garder une trace permanente de ce mondial, de nombreux salons proposaient des flash. Les modèles sont exposés, on choisit celui qu'on veut, on s'entend sur le prix, on prend date pour la séance à la fin de laquelle on repart avec le calque, comme preuve qu'il ne sera pas réutilisé sur un autre client. J'ai pour ma part craqué sur une tête d'ocelot traversée d'un éclair rouge que proposait le salon italien Pure Morning Tattoo. Une préparation un peu laborieuse pour aménager au mieux l'espace très réduit du salon, une heure de tatouage en musique et un résultat de haute tenue qui a très bien cicatrisé.
Moments forts de la journée, les concours sont un bon moyen d'apprécier le travail des tatoueurs présents. Les concours sont laborieusement animés par Alexandre Devoise. En multipliant les blagues foireuses et les questions de newbie, le Monsieur Télé-Achat de TF1 peine à convaincre un public plutôt exigeant. Mais le spectacle est ailleurs, c'est les courageux volontaires qui viennent exposer leur peau qui attirent l'oeil du jury et du public. Concours par taille et par coloris, concours de la meilleure pièce du jour (réalisée dans la journée et encore fraîche), il y en a pour tous les goûts. Tout n'est pas formidable, il y a même des pièces ratées, mais avec sa vingtaine de participants par session, le concours est le bon moyen d'avoir un large aperçu de l'offre.
En conclusion, avec toutes ces animations, tous ses participants et ces ambiances variées, le mondial peut se vivre de différentes manières. C'est aussi pour cela qu'on y reste facilement trois jours sans voir le temps passer. On se retrouve le lundi suivant, sonné comme à la fin du Hellfest, mais si on a été chanceux ou inspiré, on emporte un souvenir de l'événement sous la forme d'un joli tatouage.
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