Il y a quelques années, j'ai lu l'interview d'un rocker qui s'était produit en concert à la Jamaïque au début des années 80. Il expliquait à quel point c'était agréable de jouer devant un public qui n'avait aucune culture musicale Rock et découvrait toutes ses compos sans essayer de les relier aux productions d'autres artistes. Difficile, en effet, d'écouter un disque sans tenter, même inconsciemment, de le relier à un courant, d'identifier ses références, plus ou moins fondues. Et pourtant ce difficile exercice de mémoire ("ou est-ce que j'ai déjà entendu ce riff ?") nous fait perdre un peu du plaisir simple de la découverte.

C'est pourtant l'esprit débarrassé de toutes références qu'il faudrait aborder les groupes de Metal du sous-continent indien. Car là-bas, la culture Metal est récente, les formations pas si nombreuses, la diffusion de la musique aléatoire. Le public local n'y a donc pas les mêmes références que nous qui baignons dans le Metal depuis quatre décennies. Ah, si l'on pouvait, l'espace d'une écoute, oublier toute cette discographie qui nous trotte dans le ciboulot. Si l'on arrivait à écouter le deuxième album des pakistanais de BLACKHOUR avec la même ingénuité que le public pakistanais... On n'y sentirait pas planer en permanence l'ombre de IRON MAIDEN.

BLACKHOUR est un quintet de Heavy Metal originaire d'Islamabad. Les musiciens revendiquent des origines banlieusardes et ouvrières (pour se démarquer des groupes de fils à papa). Le gang a été fondé en 2007 et il s'est fixé pour objectif de promouvoir un genre musical qui n'est pas très médiatique au Pakistan. Le debut album Age of War a été publié en 2011. Il s'est tout de même vendu à 10.000 exemplaires au Pakistan et à l'international. Avec le passage des années, le groupe a amélioré sa réputation internationale en représentant le Metal pakistanais dans plusieurs festivals. La formation est actuellement connu comme l'un des plus Heavy et des plus dynamiques de la scène pakistanaise.

Malgré sa taille raccourcie, la tracklist varie les plaisirs dans un genre de Metal mélodique épique. Des intros bien léchées, des riffs catchy, un chant clair plutôt mélodique et ce côté épique accentué par la durée des titres qui dépassent tous les 5 minutes. Oui, le gang prend son temps pour installer ses ambiances sur la durée, avec des crescendo bien maîtrisés qui débouchent sur des apothéoses de rythmiques et des soli de guitare très techniques sans être ennuyeux, mais il tire parfois un peu trop sur la corde, peut-être pour compenser une tracklist un petit peu maigre pour un album. Le voyage n'est pas désagréable, même si certaines pistes auraient pu être écourtées, notamment "Life Brings Death, Love Brings Misery" et ses 9 minutes. La production est très bien, respectant bien l'instrumentation d'ensemble. La batterie sonne parfois un brin trop synthétique, mais cela reste plutôt anecdotique compte tenu de l'excellente qualité d'ensemble. Vraiment, Sins Remains est un bon disque. Le problème pour nous et notre sacrée culture Metal, c'est qu'il est très difficile d'aborder ce disque sans systématiquement se référer à la NWOBHM et surtout à IRON MAIDEN, de la construction des chansons à l'instru et jusque dans les intonations du vocaliste Tayyab Rehman. Ce n'est pas une coïncidence, le combo appuie sur la pédale MAIDEN pour répondre à la demande du public asiatique qui apprécie cette référence (qui pourrait les en blâmer). Plutôt que de se voir demander des cover de MAIDEN à chaque concert, autant proposer une musique qui s'en inspire !

Si l'on arrive à faire abstraction des similitudes frappantes entre le projet et son modèle, on passe 35 minutes agréables en compagnie des pakistanais, mais toute technique et sympathique que soit la prestation, ce n'est pas l'opus qui va révolutionner le Metal.